Postée le 22 janvier 2023
  • Édito

« La musique de la terre »

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Voici une notion que nous connaissons tous, sans y prêter consciemment attention : « le paysage sonore ».
Inventée par Raymond Murray Schafer, compositeur écologiste canadien né en 1933 en Ontario, cette notion « nous renvoie à la banalité des sens qui nous entourent », les sons du quotidien, de la nature. La nature est sonore, elle est l’ultime Graal des compositeurs qui, en parcourant le monde, s’en inspire pour la retranscrire dans leurs compositions. À ce titre, nous pouvons remarquer dans l’introduction de l’œuvre de Richard Wagner, L’Or du Rhin, de lents arpèges de trombone figurant le son des eaux majestueuses de ce fleuve.

Olivier Messiaen, lui, retranscrit le chant des oiseaux qu’il appelle les « premiers musiciens du monde » après les avoir écouté dans leur environnement naturel de part le monde.

Quant à Beethoven, dans sa Pastorale, nous pouvons entendre l’orage qui s’intensifie jusqu’à l’explosion du tonnerre.

Bernie Krause, musicien américain, enregistreur de paysages sonores, naturaliste et docteur en bioacoustique à l’Union Institute and University de Cincinnati est à l’origine des termes biophonie, anthropophonie et géophonie. C’est dans son livre, Le Grand Orchestre animal, qu’il raconte l’expérience la plus impressionnante et la plus étrange qu’il ait jamais vécue. Cela se passe dans l’Oregon, aux alentours du lac Wallowa alors qu’il chassait des sons.

Accompagné de Angus Wilson, un descendant indien de la tribu des Nez-Percés, il se rendit près d’un lac sacré, une sorte de combe. Alors qu’ils étaient installés près d’un affluent du lac, le vent a commencé à s’engouffrer dans la vallée et à gagner en force. C’est là que des sons « qui semblaient jaillir de grands orgues » les ont submergés. « L’effet produit n’était pas exactement des accords, mais plutôt un alliage de tons, de soupirs et de plaintes qui se donnaient la réplique et mettaient en résonance d’étranges rythmes. Ils créaient des harmoniques aiguës accentuées par la réverbération des montagnes environnantes. » Angus Wilson les fit aller jusqu’à la berge du ruisseau où se dressait un bouquet de roseaux de différentes longueurs brisés par le mauvais temps, au fil des saisons.

Bernie Krause raconte alors : « En oscillant dans le vent, ceux dont la cime était ouverte émettaient un son retentissant entre les grands orgues et une gigantesque flûte de pan. Angus tira un couteau, choisit et coupa un tronçon de roseau, y perça quelques trous, fit une entaille et se mit à jouer. Puis il nous dit : « Vous savez maintenant d’où vient notre musique. C’est de là que vient la vôtre aussi… ».

Extrait du livre Sur les routes de la musique d’André Manoukian

Composé et édité par Harper Collins France et France Inter – 2021

Illustration @Loudesbois

Phonotus